Le fait est que la virée du corsaire batave aux Açores avait commencé de tourner vinaigre. Pingre parmi les pingres, van den Flussen avait fait maigres provisions de bouches, comptant sur ses proies (ou les pertes parmi son équipage…il n’est point de petites économies) pour obtenir suffisance au voyage retour. Un mois de maraude étant passé, et prises faites que de pauvres pêcheurs malchanceux en tous points, il lui fallut trouver quelque expédiant pour pallier à la situation.
Ayant à son bord le couple Tripelkarmeliet, Bloeme et Klaas de leurs prénoms, et contrebandiers de profession, tous deux habitués au commerce interlope en ces eaux cosmopolites, il eut vent d'un l'existence d'un pasteur flamand établi en ces îles de longue date à la suite Jácome de Bruges, à la pointe orientale de l'île Pico, dans une ferme adossée à une grosse roche qui lui donne son nom : la ferme de la grosse roche.
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Laquelle grosse roche s’avèrera bien plus tard être le possible témoin que les portugais n’auraient pas eu la primauté de fouler ces îles.
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Ledit pasteur de Gruyk, y ferait élevage de cochons de lait, et bon commerce avec quiconque poussé par le besoin savait généreusement se délester de quelques piastres. Ainsi prétendait-il faire œuvre de bienfaisance envers toute nation, et envers sa bourse tout autant.
N'ayant pas le cœur de mener expédition de ravitaillement à terre sur l'adversaire, et l'avarice n'ayant pas de fond pour qui sait compter juste, van den Flussen ne trouva pas meilleure idée pour se fournir en monnaie sonnante et trébuchante, que de se délester à Faïal auprès de quelque capitainerie portugaise, non point corrompue, mais néanmoins délaissée.
Les mauvaises langues prétendront que si le truchement des Tripelkarmeliet s'avéra fort utile dans la transaction, ils en furent aussi les premiers gratifiés, mais pas moins que le capitaine lui-même pour qui toute commission est légitime et bonne à prendre. De la à dire que van den Flussen aurait vendu la poudre de ses hommes pour son bénéfice propre, il ne faut pas non plus exagérer...quoique...
L'ancre levée à Faïal, le corsaire vint ensuite à mouiller à la côte nord à la Bahia do Calau, et à y débarquer les Tripelkarmeliet. De là, par la route qui mène à la côte Sud par la Baya do Ferro, Bloeme et Klaas ne pouvaient manquer la ferme de Gruyk, et y faire la transaction tant attendue par l'équipage au vente creux, et à la bouche toute ensalivée à l'idée d'embarquer dodus porcelets.
Seulement, à Faïal, si les bourses connaissent quelque liberté, elles n'en sont pas moins surveillées. Ainsi, Barabmelha qui depuis plusieurs semaines traquait le hollandais dans sa misérable course, fut averti, non seulement de son passage mais également de ses intentions! Les Tripelkarmeliet auraient-ils vendus la mèche pour garnir plus grassement leur bourse?...d'aucun le prétende....
Filant par la côte sud de l'île, et profitant de la meilleure marche au vent de sa Caravela Redonda, il parvint à prendre le hollandais de vitesse.
Avant même que les Trippelkarmeliet n'arrivent en vue de la ferme, le Trinitario mouillait à la Bahia do Ferro depuis plus d'une journée révolue, et Barbamelha avait-il investit les lieux, résolu d'y tendre piège à van den Flussen.
Mais c'était sans compter sur la perspicacité du pasteur qui eut le temps de prendre la poudre d'escampette par la route de la Bahia de Calau, manquant de renverser au passage, et Bloeme, et Klaas, venant prestement à sa rencontre.
Inutile de préciser que de le trio de ciconstance étant tout suant de retour à la Bahia de Calau, l'équipage batave en connut quelque contrariété, de se voir servi un pasteur tout rance, plutôt que frétillantes bordées de porcelets.
Placé au pied du mur, van den Flussen mit pied à terre et son monde en ordre de marche, et entrepris de promptement prendre pied devant la ferme, coupant aux portugais tant l'accès à la Bahia do Calau qu'à la Bahia do Ferro.
Ainsi Barbamelha se trouvait-il pris au piège qu'il avait lui même tendu, lui et ses hommes relégués promptement au statut de simples porchers, n'ayant plus pour seul issue que les falaises de la Ponta da Nesquin...
Pourtant l'un comme l'autre se trouvaient dès lors face à cruel dilemme. Si le Hollandais tenait siège trop longtemps, au risque de pousser l'adversaire à la famine, il y perdrait les cochons de lait. Si le Portugais se résolvait à tenir position trop longtemps, il n'aurait d'autre choix que d'en faire leur pitance, enlevant par la même occasion toute motivation à son adversaire d'en découdre.
Aussi, une journée étant ainsi passée d'ultimatum en ultimatum, auxquels Barabamelha ne manqua pas à chaque fois de répondre par un ferme refus agrémenté de moult grouinements irritants pour les estomacs bataves, le lendemain, dès l'aube, chacun était prêt à faire parler la poudre...ou du moins celle qui n'avait pas été imprudemment cédée à Faïal...