Présentation
Les sparabara ("porteurs de boucliers spara") appartiennent à l'armée de l'Empire Perse à son zénith, celle qui a suivi Cyrus II le Grand, Cambyses, Darius I et Xerxès Ier dans leurs conquêtes, celle qui a résisté ensuite sur le front occidental à la Ligue de Délos.
Car à partir de -450, la nature de l'armée change profondément, avec l'apparition des archers à bouclier en forme de croissant, puis les kardakes.
Même si des sparabara sont mentionnés à Cunaxa (-401), ce n'est pas certain qu'il s'agit vraiment de l'infanterie traditionnelle (mais laquelle alors ?)et sa disparition de l'art vers -450 suggère qu'elle a été remplacée par la nouvelle infanterie, au moins dans les régions occidentales.
Historique
Les deux palais de Darius Ier, à Persépolis et à Suse, foisonnent de plus d'un millier de représentations de fantassins, mais d'aucun cavalier.
S'il ne faut pas pour autant négliger le rôle des troupes montées et il ne me paraît pas exagéré de dire que les fantassins sont le cœur de l'armée Perse de haute époque.
La mode de combat de l'essentiel de l'infanterie perse a fait couler beaucoup d'encre.
Il est en effet difficile de concilier les quatre sources différentes que sont les auteurs grecs (en particulier Hérodote), l'art grec (surtout les représentations sur les vases), l'art perse de Persépolis et Susa (qui représente particulièrement la garde palatine) et d'autres représentations perses, notamment sur des sceaux-cylindres.
Si les gardes les mieux connues à Persépolis n'ont pas de bouclier, ou bien un bouclier en forme de huit, d'autres représentations les montrent clairement avec un grand bouclier carré, qui correspond au gerrha (bouclier en osier) d'Hérodote et des "murs de boucliers" qu'il évoque à Platée (IX 61) et à Mycale (IX 102).
Nous savons que le mot perse pour ce genre de bouclier était spara, d'où sparabara, "porteurs de spara".
La difficulté est que Hérodote donne aux soldats perse bouclier, lance et arc; or, les soldats de Persépolis n'ont jamais les trois ensemble.
Qui plus est, l'art grec montre le plus souvent un archer sans bouclier, qui combat en corps à corps avec une épée ou une hache.
Ce n'est pas un simple convention artistique, car les boucliers en croissant des archers plus tardifs sont amplement illustrés.
De ces constats est née l'idée - qui est hélas loin d'être universellement accepté, car il n'en existe aucune représentation artistique ou littéraire - que la première ligne de l'infanterie perse était équipé d'un spara et d'une lance tandis que les rangs suivants étaient des archers.
Il est par ailleurs évident, d'après l'art, que le spara pouvait tenir debout grâce à un cale, ce qui aurait éventuellement libéré les mains du lancier pour utiliser son arc en fonction de la situation tactique.
Ce dont Hérodote fait état.
Les tablettes de rationnement de Persépolis mentionnent un "chef d'une file de dix", ce qui donne la profondeur probable de la formation.
Hérodote indique par ailleurs qu'une fois leur mur de boucliers détruit par les hoplites, les Perses sortaient combattre "par groupe de dix, parfois plus, parfois moins", ce qui est concordant sans être concluant.
Quant à Xénophon, il mentionne un "chef de cinq" mais pour une période bien plus tardive (vers -400).
Même si ce n'est pas la seule explication possible, elle me semble raisonnable.
Cependant, j'apporterai une observation supplémentaire.
Étant donné la mode de recrutement d'une partie de l'armée perse (voir plus bas), et le fait que chaque soldat apportait clairement son propre équipement, il me paraît improbable qu'un soldat sur dix devrait apporter un équipement différent des autres, ce qui demande une organisation complexe.
Donc deux solutions se présentent :
- soit tous les soldats d'une unité apportaient le même équipement, c'est à dire, arc, lance et spara.
Les archers des rangs arrières reprenaient en main leurs lances au moment du corps à corps.
En défaveur de cette idée, les vases grecques ne montrent jamais d'archer avec une lance.
En sa faveur, la lance n'est pas non plus montrée même quand le spara est présent; et deux sceaux-cylindres perses qui montrent un archer sans bouclier qui attaquent un hoplite avec une lance.
- soit, le premier soldat de chaque file est un guerrier entraîné, fourni par le système de recrutement hatru ou son équivalent (voir plus tard).
Il doit à ce titre apporter lance, bouclier et probablement arc et il apprend à les utiliser de concert avec ses camarades lors des rassemblements annuels dont il est amplement fait état.
Le dixième soldat de chaque file, qui est probablement son sous-officier, pourrait tout aussi bien venir des hatru.
Quant aux autres (80% de l'unité) ils proviennent de levées plus larges.
Ils apportent l'arc dont, selon plusieurs auteurs grecs, chaque perse savait se servir, et une épée ou une hache qu'ils utilisent au mieux.
En faveur de cette interprétation est l'art grec, et la réputation des Perses chez un auteur comme Hérodote, qui indique leur bravoure mais leur manque d'entraînement.
Les lanciers qui servaient de gardes de corps à certains personnes proéminents (par exemple, le prince royal mentionné à Mycale, Hérodote IX 107) seraient les mêmes qui combattaient en premier rang.
Au vu de tout cela, il transpire que le spara était fabriqué à partir d'une épaisseur de cuir, dans lequel était inséré des branches d'osier pour former un motif caractéristique, peut-être peint comme pour distinguer les unités.
Evidemment les lances des sparabara étaient plus courtes que celle des grecques.
Les soldats pouvaient porter l'habit dit "Mède" et il est d'ailleurs probable que cette infanterie était composée non seulement de Perses, mais également de Mèdes et peut-être d'autres Iraniens, comme par exemple des Bactriens.
Certains étaient sans armure, d'autres pouvaient porter une cuirasse de lin rembourré, un linothorax de type grec, et parfois une armure d'écailles de bronze dont Hérodote fait état.
Certains archers montrent une épée caractéristique, le kopis, et une hache très particulière et très populaire dans l'art grec, le sagaris.
L'absence d'autres unités d'infanterie peut surprendre : l'armée de Xerxès réunissait plus de 50 contingents nationaux dans le célèbre descriptif d'Hérodote que vous troverez sur ce forum...
Cependant, la parade qu'il décrit relève plus d'une logique impériale - le défilé devant le monarque des nations assujetties - que d'une logique militaire.
Les auteurs grecs sont clairs, ce sont surtout les troupes iraniennes - Perses, Mèdes, Bactriens, Scythes - qui combattent réellement.
Ainsi, après la défaite de Salamine et le départ de Xerxès, c'est exactement ces quatre contingents que choisit Mardonius pour son armée.
Il ne leur adjoint que les troupes étrangeres les plus redoutables - les Indiens et les marins de la flotte égyptienne - mais parmi les 47 autres contingents seulement "les hommes les plus vaillants" (Hérodote VIII 113).
Habit "Mède" et habit "Perse"
Le port d'un tunique et d'un pantalon est commun à tous les peuples iraniens, et il est clair que l'habit dit "Mède" était celui des Perses également, à l'origine.
Même s'il est à mon avis hasardeux de rejeter le témoignage de l'art Perse, l'art grec suggère en tout cas que c'est cet habit "Mède" qui était privilégié au combat, pour ses qualités pratiques.
Les pantalons étaient décoré de motifs en rangés géométriques.
Un ou deux tuniques étaient portés, l'un plus court que l'autre et généralement de couleurs différentes, avec ou sans motifs. L'un ou l'autre pouvait être sans manches.
Par-dessus ses tuniques, les guerriers portaient parfois une veste épaisse à manches longues, le kandys.
Par temps plus clément, le kandys servait de cape, les manches pendant alors le long du dos.
Les nobles portaient un kandys de couleur pourpre, auquel le Grand Roi ajoutait une bande blanche.
Le couvre-chef célèbre du costume "Mède", qu'Hérodote appelle le tiara, est un bonnet mou dont la couronne tombe vers l'avant ou sur le côté.
Seul le Grand Roi est en droit de porter le "tiara droit" (que l'on voit sur la tête de Darius III sur le célèbre mosaïque où il affronte Alexandre).
Ce couvre-chef a trois languettes, dont l'une tombe sur le cou et les deux autres sur les joues. Le porteur peut également les attacher derrière la tête, sous le menton, ou même pour couvrir la bouche. Par dessus le roi et les nobles pouvaient porter un cercle en métal précieux.
L'habit dit "Perse", qui figure abondamment à Persépolis et qui est bien connu par les reliefs dits des "Immortels", a sans doute été emprunté aux Elamites, qui ont exercé une influence considérable sur le jeune royaume iranien.
Sans doute un habit de cour avant tout, il est néanmoins porté parfois au combat, particulièrement par le roi mais pas exclusivement.
Le recrutement de l'armée Achéménide
Le sujet de leur recrutement est intéressant pour mesurer la qualité des troupes achéménides.
Quand les Perses ont conquis la Babylonie, ils ont implanté un système nouveau - même s'il avait des précédents dans la région - appelé hatru.
Ce système a vraisemblablement existé en Perse même, et il n'est pas improbable qu'il fut exporté dans d'autres régions de l'Empire, comme l'attestent des pratiques en Egypte achéménide.
L'hatru est une communauté qui reçoit en attribution un territoire qu'elle cultive sous forme de lots familiaux, qui sont inaliénables mais peuvent être donnés en héritage.
En contrepartie de ce don royal, l'exploitant doit un ensemble d'obligations qui sont collectivement connus sous le nom d'ilku.
L'ilku inclut des taxes, des corvées et, souvent mais pas systématiquement, une obligation militaire.
Dans ce dernier cas, le lot est connu sous le nom de "domaine d'arc" (bit qašti), "domaine de cheval" (bit sisi) ou "domaine de char" (bit narkatbi), selon son importance.
De tels hatru doivent fournir, pour chaque lot concerné, le sab šarri, c'est à dire, "le soldat du roi", équipé comme archer à pied ou comme cavalier selon les obligations qui lui pèsent.
La discussion est très technique, mais d'après ce que j'ai compris, un soldat est du pour chaque lot, ces lots étant tenus par plusieurs personnes, en division ou en indivision.
Ainsi lit-on des contrats entre deux détenteurs d'un lot, où l'un se porte volontaire pour être sab šarri si l'autre s'engage à l'équiper.
Car les sab šarri sont fournis avec leur équipement et avec la somme d'argent nécessaire pour rejoindre le lieu de mobilisation.
Les obligations pèsent parfois lourds; dans un exemple rapporté dans une tablette babylonienne, le sab šarri, ici un cavalier, doit emmener avec lui 12 fantassins légèrement équipés.
Je ne sais pas à quel équipement correspond le bit narkabti; ce n'est certainement pas à mettre en relation avec les chars à faux de l'époque tardif car les textes sont bien antérieurs.
Les textes font état d'exploitants de hatru qui s'endettent pour équiper le sab šarri, par l'hypothèque de récoltes futurs.
Tel que l'indique Xénophon, les sab šarri étaient soumis à une revue annuelle, pour laquelle ils se rassemblaient à un lieu précis.
Sans doute plusieurs milliers étaient rassemblés, pour des exercices militaires d'envergure.
Je me suis permis de suggérer que ces sab šarri formaient à la composante territoriale de l'armée perse le premier et le dernier rang des sparabara.
Ce système est à mettre en relation avec une autre pratique des Perses, hérité des empires mésopotamiens, celui de déporter des peuples conquis; l'exemple le plus célèbre est la déportation des juifs à Babylone par Nabuchodonosor.
Ces déportations sont loin de celles pratiqués aux temps modernes.
Si l'un des objectifs est bien sûr de briser les solidarités des lieux de révolte, l'autre est de mettre en production d'autres régions de l'Empire.
Hérodote précise que la population de Milet, déportée en Sogdiane, ne souffrit pas d'autre mal.
Car les déportés reçoivent des hatru, qui sont donc à fort composition ethnique.
Ainsi, à Babylone de l'époque de Darius Ier, il existe un hatru des Saces, un hatru des Elamites et ainsi de suite.
Des Eubéens de Grèce sont installés en Elam, des Egyptiens à Nippour. A Éléphantine en Egpyte est installé une communauté juive de plusieurs milliers d'âmes, avec un système similaire au hatru.
Je ne sais pas si ces hatru là fournissaient des sab šarri et si ceux-ci étaient intégrés dans des unités composites, mais cela semble peu probable.
Sans doute fournissaient-ils les "hommes les plus vaillants" des contingents dont l'existence a déjà été noté.
Un autre phénomène de l'Empire Perse est le dôrea (mot grec; l'équivalent perse est inconnu).
Le Grand Roi donne des terres à ses favoris, ou à des princes ou princesses de la lignée achéménide, ou encore à des sanctuaires.
Ce ne sont pas des "estates" car les terres concernées sont généralement morcelées, ce qui prive les bénéficiaires d'ailleurs d'assises territoriales trop importantes.
Qui plus est, ils restent "terres du roi", qui peut théoriquement les reprendre à tout moment.
Leur surface cumulée peut cependant être très importante.
Les détenteurs de dôrea sont redevables des obligations des hatru qu'ils regroupent.
Ainsi, un noble perse du nom de Spithridatès fournit à ses frais une troupe de non moins de 200 cavaliers à l'armée satrapale.
Nous pouvons aisément imaginer qu'une telle troupe possède une cohésion et une qualité combattive hors de norme.
Les dôrea peuvent également être tenus par des étrangers, l'exemple le plus célèbre étant Thémistocles.
Exilé d'Athènes, il trouve faveur auprès du Grand Roi, qui lui donne les revenus de plusieurs villes de la région de Magnésie.
La théorie veut que la qualité des sab šarri a décliné progressivement, car avec le temps et le jeu économique, les hatru n'étaient plus entre les mains de personnes désirant de participer activement à la guerre.
Certains liquidaient leurs obligations en argent, ce qui permettait aux satrapes et au Grand Roi d'engager des mercenaires, certes professionnelles mais peu attachés à l'Empire.
C'est ce processus qui explique les débandades de Darius III.
Les recherches de Briant montrent en revanche que le hatru était toujours vivace, au moins jusqu'au milieu du IVème siècle et que l'obligation de sab šarri continuait à peser réellement sur lescolons.
Les mercenaires
Pour supplémenter leurs forces, où pour répondre à une crise ponctuelle, notamment au niveau d'une satrapie, les Perses faisait volontiers appel au mercenariat des peuples les plus guerriers de leur Empire ou au-delà.
Le mercenaire se distingue du colon en ce qui s'enrôle de sa plein gré, en fonction des choix du moment et non pas en fonction des obligations qui découlent des choix passés.
Les Perses avaient des garnisons dans les points stratégiques de l'Empire et il semblerait que nombreux d'entre eux étaient des mercenaires.
Les plus recherchés étaient les Chalybes d'Arménie, les Khaldi de l'ancien Urartu, les Mardes, les Arabes et bien sûr les Grecs.
La thèse d'un déclin militaire de la Perse veut que les colons qui payaient leurs obligations militaires par une décharge en argent amenaient les Perses à recourir de plus en plus souvent aux mercenaires.
L'historiographie grecque, par la même occasion, avance le thèse que les Perses étaient perdu sans leurs vaillants mercenaires hellènes et sans les stratèges grecs qui conseillaient les satrapes perses vautrés dans leur luxe.
Or il s'avère que d'une part, les Perses ont toujours employé des mercenaires, de l'autre que les Grecs n'étaient pas les seuls et que leur rôle était souvent secondaire.
D'autre part, il est évident que les Grecs employés en grand nombre par Darius III ne l'ont pas permis de vaincre Alexandre.
Dans ces conditions, la valeur militaire des Perses et de leurs alliés iraniens traditionnels mérite d'être réexaminé.
Les sparabara ("porteurs de boucliers spara") appartiennent à l'armée de l'Empire Perse à son zénith, celle qui a suivi Cyrus II le Grand, Cambyses, Darius I et Xerxès Ier dans leurs conquêtes, celle qui a résisté ensuite sur le front occidental à la Ligue de Délos.
Car à partir de -450, la nature de l'armée change profondément, avec l'apparition des archers à bouclier en forme de croissant, puis les kardakes.
Même si des sparabara sont mentionnés à Cunaxa (-401), ce n'est pas certain qu'il s'agit vraiment de l'infanterie traditionnelle (mais laquelle alors ?)et sa disparition de l'art vers -450 suggère qu'elle a été remplacée par la nouvelle infanterie, au moins dans les régions occidentales.
Historique
Les deux palais de Darius Ier, à Persépolis et à Suse, foisonnent de plus d'un millier de représentations de fantassins, mais d'aucun cavalier.
S'il ne faut pas pour autant négliger le rôle des troupes montées et il ne me paraît pas exagéré de dire que les fantassins sont le cœur de l'armée Perse de haute époque.
La mode de combat de l'essentiel de l'infanterie perse a fait couler beaucoup d'encre.
Il est en effet difficile de concilier les quatre sources différentes que sont les auteurs grecs (en particulier Hérodote), l'art grec (surtout les représentations sur les vases), l'art perse de Persépolis et Susa (qui représente particulièrement la garde palatine) et d'autres représentations perses, notamment sur des sceaux-cylindres.
Si les gardes les mieux connues à Persépolis n'ont pas de bouclier, ou bien un bouclier en forme de huit, d'autres représentations les montrent clairement avec un grand bouclier carré, qui correspond au gerrha (bouclier en osier) d'Hérodote et des "murs de boucliers" qu'il évoque à Platée (IX 61) et à Mycale (IX 102).
Nous savons que le mot perse pour ce genre de bouclier était spara, d'où sparabara, "porteurs de spara".
La difficulté est que Hérodote donne aux soldats perse bouclier, lance et arc; or, les soldats de Persépolis n'ont jamais les trois ensemble.
Qui plus est, l'art grec montre le plus souvent un archer sans bouclier, qui combat en corps à corps avec une épée ou une hache.
Ce n'est pas un simple convention artistique, car les boucliers en croissant des archers plus tardifs sont amplement illustrés.
De ces constats est née l'idée - qui est hélas loin d'être universellement accepté, car il n'en existe aucune représentation artistique ou littéraire - que la première ligne de l'infanterie perse était équipé d'un spara et d'une lance tandis que les rangs suivants étaient des archers.
Il est par ailleurs évident, d'après l'art, que le spara pouvait tenir debout grâce à un cale, ce qui aurait éventuellement libéré les mains du lancier pour utiliser son arc en fonction de la situation tactique.
Ce dont Hérodote fait état.
Les tablettes de rationnement de Persépolis mentionnent un "chef d'une file de dix", ce qui donne la profondeur probable de la formation.
Hérodote indique par ailleurs qu'une fois leur mur de boucliers détruit par les hoplites, les Perses sortaient combattre "par groupe de dix, parfois plus, parfois moins", ce qui est concordant sans être concluant.
Quant à Xénophon, il mentionne un "chef de cinq" mais pour une période bien plus tardive (vers -400).
Même si ce n'est pas la seule explication possible, elle me semble raisonnable.
Cependant, j'apporterai une observation supplémentaire.
Étant donné la mode de recrutement d'une partie de l'armée perse (voir plus bas), et le fait que chaque soldat apportait clairement son propre équipement, il me paraît improbable qu'un soldat sur dix devrait apporter un équipement différent des autres, ce qui demande une organisation complexe.
Donc deux solutions se présentent :
- soit tous les soldats d'une unité apportaient le même équipement, c'est à dire, arc, lance et spara.
Les archers des rangs arrières reprenaient en main leurs lances au moment du corps à corps.
En défaveur de cette idée, les vases grecques ne montrent jamais d'archer avec une lance.
En sa faveur, la lance n'est pas non plus montrée même quand le spara est présent; et deux sceaux-cylindres perses qui montrent un archer sans bouclier qui attaquent un hoplite avec une lance.
- soit, le premier soldat de chaque file est un guerrier entraîné, fourni par le système de recrutement hatru ou son équivalent (voir plus tard).
Il doit à ce titre apporter lance, bouclier et probablement arc et il apprend à les utiliser de concert avec ses camarades lors des rassemblements annuels dont il est amplement fait état.
Le dixième soldat de chaque file, qui est probablement son sous-officier, pourrait tout aussi bien venir des hatru.
Quant aux autres (80% de l'unité) ils proviennent de levées plus larges.
Ils apportent l'arc dont, selon plusieurs auteurs grecs, chaque perse savait se servir, et une épée ou une hache qu'ils utilisent au mieux.
En faveur de cette interprétation est l'art grec, et la réputation des Perses chez un auteur comme Hérodote, qui indique leur bravoure mais leur manque d'entraînement.
Les lanciers qui servaient de gardes de corps à certains personnes proéminents (par exemple, le prince royal mentionné à Mycale, Hérodote IX 107) seraient les mêmes qui combattaient en premier rang.
Au vu de tout cela, il transpire que le spara était fabriqué à partir d'une épaisseur de cuir, dans lequel était inséré des branches d'osier pour former un motif caractéristique, peut-être peint comme pour distinguer les unités.
Evidemment les lances des sparabara étaient plus courtes que celle des grecques.
Les soldats pouvaient porter l'habit dit "Mède" et il est d'ailleurs probable que cette infanterie était composée non seulement de Perses, mais également de Mèdes et peut-être d'autres Iraniens, comme par exemple des Bactriens.
Certains étaient sans armure, d'autres pouvaient porter une cuirasse de lin rembourré, un linothorax de type grec, et parfois une armure d'écailles de bronze dont Hérodote fait état.
Certains archers montrent une épée caractéristique, le kopis, et une hache très particulière et très populaire dans l'art grec, le sagaris.
L'absence d'autres unités d'infanterie peut surprendre : l'armée de Xerxès réunissait plus de 50 contingents nationaux dans le célèbre descriptif d'Hérodote que vous troverez sur ce forum...
Cependant, la parade qu'il décrit relève plus d'une logique impériale - le défilé devant le monarque des nations assujetties - que d'une logique militaire.
Les auteurs grecs sont clairs, ce sont surtout les troupes iraniennes - Perses, Mèdes, Bactriens, Scythes - qui combattent réellement.
Ainsi, après la défaite de Salamine et le départ de Xerxès, c'est exactement ces quatre contingents que choisit Mardonius pour son armée.
Il ne leur adjoint que les troupes étrangeres les plus redoutables - les Indiens et les marins de la flotte égyptienne - mais parmi les 47 autres contingents seulement "les hommes les plus vaillants" (Hérodote VIII 113).
Habit "Mède" et habit "Perse"
Le port d'un tunique et d'un pantalon est commun à tous les peuples iraniens, et il est clair que l'habit dit "Mède" était celui des Perses également, à l'origine.
Même s'il est à mon avis hasardeux de rejeter le témoignage de l'art Perse, l'art grec suggère en tout cas que c'est cet habit "Mède" qui était privilégié au combat, pour ses qualités pratiques.
Les pantalons étaient décoré de motifs en rangés géométriques.
Un ou deux tuniques étaient portés, l'un plus court que l'autre et généralement de couleurs différentes, avec ou sans motifs. L'un ou l'autre pouvait être sans manches.
Par-dessus ses tuniques, les guerriers portaient parfois une veste épaisse à manches longues, le kandys.
Par temps plus clément, le kandys servait de cape, les manches pendant alors le long du dos.
Les nobles portaient un kandys de couleur pourpre, auquel le Grand Roi ajoutait une bande blanche.
Le couvre-chef célèbre du costume "Mède", qu'Hérodote appelle le tiara, est un bonnet mou dont la couronne tombe vers l'avant ou sur le côté.
Seul le Grand Roi est en droit de porter le "tiara droit" (que l'on voit sur la tête de Darius III sur le célèbre mosaïque où il affronte Alexandre).
Ce couvre-chef a trois languettes, dont l'une tombe sur le cou et les deux autres sur les joues. Le porteur peut également les attacher derrière la tête, sous le menton, ou même pour couvrir la bouche. Par dessus le roi et les nobles pouvaient porter un cercle en métal précieux.
L'habit dit "Perse", qui figure abondamment à Persépolis et qui est bien connu par les reliefs dits des "Immortels", a sans doute été emprunté aux Elamites, qui ont exercé une influence considérable sur le jeune royaume iranien.
Sans doute un habit de cour avant tout, il est néanmoins porté parfois au combat, particulièrement par le roi mais pas exclusivement.
Le recrutement de l'armée Achéménide
Le sujet de leur recrutement est intéressant pour mesurer la qualité des troupes achéménides.
Quand les Perses ont conquis la Babylonie, ils ont implanté un système nouveau - même s'il avait des précédents dans la région - appelé hatru.
Ce système a vraisemblablement existé en Perse même, et il n'est pas improbable qu'il fut exporté dans d'autres régions de l'Empire, comme l'attestent des pratiques en Egypte achéménide.
L'hatru est une communauté qui reçoit en attribution un territoire qu'elle cultive sous forme de lots familiaux, qui sont inaliénables mais peuvent être donnés en héritage.
En contrepartie de ce don royal, l'exploitant doit un ensemble d'obligations qui sont collectivement connus sous le nom d'ilku.
L'ilku inclut des taxes, des corvées et, souvent mais pas systématiquement, une obligation militaire.
Dans ce dernier cas, le lot est connu sous le nom de "domaine d'arc" (bit qašti), "domaine de cheval" (bit sisi) ou "domaine de char" (bit narkatbi), selon son importance.
De tels hatru doivent fournir, pour chaque lot concerné, le sab šarri, c'est à dire, "le soldat du roi", équipé comme archer à pied ou comme cavalier selon les obligations qui lui pèsent.
La discussion est très technique, mais d'après ce que j'ai compris, un soldat est du pour chaque lot, ces lots étant tenus par plusieurs personnes, en division ou en indivision.
Ainsi lit-on des contrats entre deux détenteurs d'un lot, où l'un se porte volontaire pour être sab šarri si l'autre s'engage à l'équiper.
Car les sab šarri sont fournis avec leur équipement et avec la somme d'argent nécessaire pour rejoindre le lieu de mobilisation.
Les obligations pèsent parfois lourds; dans un exemple rapporté dans une tablette babylonienne, le sab šarri, ici un cavalier, doit emmener avec lui 12 fantassins légèrement équipés.
Je ne sais pas à quel équipement correspond le bit narkabti; ce n'est certainement pas à mettre en relation avec les chars à faux de l'époque tardif car les textes sont bien antérieurs.
Les textes font état d'exploitants de hatru qui s'endettent pour équiper le sab šarri, par l'hypothèque de récoltes futurs.
Tel que l'indique Xénophon, les sab šarri étaient soumis à une revue annuelle, pour laquelle ils se rassemblaient à un lieu précis.
Sans doute plusieurs milliers étaient rassemblés, pour des exercices militaires d'envergure.
Je me suis permis de suggérer que ces sab šarri formaient à la composante territoriale de l'armée perse le premier et le dernier rang des sparabara.
Ce système est à mettre en relation avec une autre pratique des Perses, hérité des empires mésopotamiens, celui de déporter des peuples conquis; l'exemple le plus célèbre est la déportation des juifs à Babylone par Nabuchodonosor.
Ces déportations sont loin de celles pratiqués aux temps modernes.
Si l'un des objectifs est bien sûr de briser les solidarités des lieux de révolte, l'autre est de mettre en production d'autres régions de l'Empire.
Hérodote précise que la population de Milet, déportée en Sogdiane, ne souffrit pas d'autre mal.
Car les déportés reçoivent des hatru, qui sont donc à fort composition ethnique.
Ainsi, à Babylone de l'époque de Darius Ier, il existe un hatru des Saces, un hatru des Elamites et ainsi de suite.
Des Eubéens de Grèce sont installés en Elam, des Egyptiens à Nippour. A Éléphantine en Egpyte est installé une communauté juive de plusieurs milliers d'âmes, avec un système similaire au hatru.
Je ne sais pas si ces hatru là fournissaient des sab šarri et si ceux-ci étaient intégrés dans des unités composites, mais cela semble peu probable.
Sans doute fournissaient-ils les "hommes les plus vaillants" des contingents dont l'existence a déjà été noté.
Un autre phénomène de l'Empire Perse est le dôrea (mot grec; l'équivalent perse est inconnu).
Le Grand Roi donne des terres à ses favoris, ou à des princes ou princesses de la lignée achéménide, ou encore à des sanctuaires.
Ce ne sont pas des "estates" car les terres concernées sont généralement morcelées, ce qui prive les bénéficiaires d'ailleurs d'assises territoriales trop importantes.
Qui plus est, ils restent "terres du roi", qui peut théoriquement les reprendre à tout moment.
Leur surface cumulée peut cependant être très importante.
Les détenteurs de dôrea sont redevables des obligations des hatru qu'ils regroupent.
Ainsi, un noble perse du nom de Spithridatès fournit à ses frais une troupe de non moins de 200 cavaliers à l'armée satrapale.
Nous pouvons aisément imaginer qu'une telle troupe possède une cohésion et une qualité combattive hors de norme.
Les dôrea peuvent également être tenus par des étrangers, l'exemple le plus célèbre étant Thémistocles.
Exilé d'Athènes, il trouve faveur auprès du Grand Roi, qui lui donne les revenus de plusieurs villes de la région de Magnésie.
La théorie veut que la qualité des sab šarri a décliné progressivement, car avec le temps et le jeu économique, les hatru n'étaient plus entre les mains de personnes désirant de participer activement à la guerre.
Certains liquidaient leurs obligations en argent, ce qui permettait aux satrapes et au Grand Roi d'engager des mercenaires, certes professionnelles mais peu attachés à l'Empire.
C'est ce processus qui explique les débandades de Darius III.
Les recherches de Briant montrent en revanche que le hatru était toujours vivace, au moins jusqu'au milieu du IVème siècle et que l'obligation de sab šarri continuait à peser réellement sur lescolons.
Les mercenaires
Pour supplémenter leurs forces, où pour répondre à une crise ponctuelle, notamment au niveau d'une satrapie, les Perses faisait volontiers appel au mercenariat des peuples les plus guerriers de leur Empire ou au-delà.
Le mercenaire se distingue du colon en ce qui s'enrôle de sa plein gré, en fonction des choix du moment et non pas en fonction des obligations qui découlent des choix passés.
Les Perses avaient des garnisons dans les points stratégiques de l'Empire et il semblerait que nombreux d'entre eux étaient des mercenaires.
Les plus recherchés étaient les Chalybes d'Arménie, les Khaldi de l'ancien Urartu, les Mardes, les Arabes et bien sûr les Grecs.
La thèse d'un déclin militaire de la Perse veut que les colons qui payaient leurs obligations militaires par une décharge en argent amenaient les Perses à recourir de plus en plus souvent aux mercenaires.
L'historiographie grecque, par la même occasion, avance le thèse que les Perses étaient perdu sans leurs vaillants mercenaires hellènes et sans les stratèges grecs qui conseillaient les satrapes perses vautrés dans leur luxe.
Or il s'avère que d'une part, les Perses ont toujours employé des mercenaires, de l'autre que les Grecs n'étaient pas les seuls et que leur rôle était souvent secondaire.
D'autre part, il est évident que les Grecs employés en grand nombre par Darius III ne l'ont pas permis de vaincre Alexandre.
Dans ces conditions, la valeur militaire des Perses et de leurs alliés iraniens traditionnels mérite d'être réexaminé.